La ROUSSOTTE
PROLOGUE
Le lieu
Une cour de ferme en Normandie. - A droite, la maison du père Savarin. A gauche, jardin et hangar. - Au fond, petit mur avec porte charretière au milieu. - La porte est à claire-voie. - Fond de hameau. - Chaise rustique à droite, premier plan. - Banc à gauche, premier plan. - Sur la maison, une enseigne ainsi rédigée : LE PÈRE SAVARIN PREND EN PENSION LES ENFANTS DES DEUX SEXES, SPÉCIALITÉ POUR LES ENFANTS IRRÉGULIERS - Ce décor n’a que deux plans.
SCÈNE PREMIÈRE
LE ROUSSOT, LA ROUSSOTTE, Autres Enfants.
Au lever du rideau, les enfants sont en train de jouer à Colin-Maillard. C’est le Roussot qui a les yeux bandés. Il est au milieu de la scène et cherche à tâtons. - Les autres enfants sont dispersés.
Un enfant

Hé le Roussot !

Un autre enfant

Par ici, le Roussot...

La ROUSSOTTE,
venant agacer son frère

Hé le Roussot !

Les ENFANTS

Casse-cou.

Le ROUSSOT,
saisissant la Roussotte.

C’est ma sœur.

LES ENFANTS

T’es prise, la Roussotte... C’est toi qui y es... c’est toi.

LA ROUSSOTTE

Je veux pas, moi, je veux pas.

LES ENFANTS
voulant lui mettre le bandeau.

C’est à toi... c’est à toi... (musique militaire en dehors)
Des soldats!... des soldats ! allons voir les soldats!

Ils sortent en courant ! Parait le père Savarin - Il les regarde sortir.


SCÈNE II

SAVARIN,
seul.

Sont-ils gentils, hein ? Et ce n’est rien ça ! Si vous les aviez vus débarbouillés... Il n’y a pas un autre père nourricier qui pourrait montrer des enfants pareils.

COUPLETS

I

Sont-ils gentils, ces petits mioches,
Sont-ils gentils, sont-ils mignons,
Je les abreuve de taloches,
Et je les gave de bonbons,
Fruits de transports illégitimes.
Une faut’ leur donna le jour,
Du préjugé tristes victimes,
Tous ces amours d’enfants sont enfants de l’amour !

II

Et cependant, chose authentique,
Les enfants nés légalement,
N’ont jamais eu qu’un père unique,
Du moins le code le prétend,
Tandis que les miens, plus prospères.
Reçoivent parfois en un jour
La visite de plusieurs pères.
Tous ces amours d’enfants sont enfants de l’amour !

C’est ma spécialité, je suis connu pour ça dans le pays... Quand on voit arriver quelqu’un avec un enfant qui n’est pas régulier... on lui dit : allez là... Et c’est amusant, à chaque instant il nous arrive des dames qui ont de grands voiles ou des messieurs qui se cachent le nez dans le collet de leur paletot... Ça me distrait... ça m’amuse, voyez plutôt...

Entre Dubois-Toupet le nez dans son paletot.
Il tient à la main deux ballons d’enfants,
des cahiers d’images et des sacs de bonbons.


SCÈNE III

SAVARIN, DUBOIS-TOUPET

SAVARIN,
reconnaissant Dubois-Toupet.

Monsieur le comte...

DUBOIS-TOUPET

Bonjour, père Savarin.

SAVARIN,
à part.

Le père des deux qui ont les cheveux rouges...

DUBOIS-TOUPET

Et les enfants ?

SAVARIN

Je m’en vas les chercher, les enfants. Ils viennent de courir après le régiment qui passait... Il est comme ça le Roussot, dès qu’il entend la musique du régiment... et ça ne m’étonne pas.. . parce qu’enfin. . . je ne demande pas les secrets de Monsieur... mais on voit bien que Monsieur est militaire.

DUBOIS-TOUPET

Écoutez-moi, père Savarin.

SAVARIN

J’écoute, Monsieur... (voyant que Dubois-Toupet ne parle pas) Monsieur parait ému...

DUBOIS-TOUPET

Oui, mais ça ne fait rien... Il ne faut pas plus d’une heure, n’est-ce pas ? pour aller d’ici au Havre, à l’endroit où l’on s’embarque sur le Transatlantique ?

SAVARIN

Faut une heure, une toute petite heure.

DUBOIS-TOUPET

C’est bien... Dans un instant, il viendra ici une dame.

SAVARIN

Leur marraine ?...

DUBOIS-TOUPET

Oui... Vous aurez soin, quand elle sera arrivée, que l’on nous laisse seuls et qu’on ne nous dérange pas.

SAVARIN

Soyez tranquille.

DUBOIS-TOUPET

C’est bien... Allez, maintenant. Allez me chercher les enfants et amenez les moi.

SAVARIN

Oui, monsieur le comte.

Il sort


SCÈNE IV

DUBOIS-TOUPET,
seul.

Viendra - t’elle ?... Une lettre que je lui ai fait remettre par une main sûre, lui a fait savoir que je l’attendais.. elle va venir !... Quels souvenirs !... Il y a neuf ans de cela... son mari était alors capitaine de vaisseau, maintenant il est amiral... Je l’avais rencontré... non, j’avais rencontré sa femme, une Anglaise adorable, une Anglaise délicieuse, à Brest, dans un bal chez le préfet maritime. Il n’y était pas, lui, il était en mer...
Je l’aimai, sa femme, dès que je la vis.. . Quant à elle, elle ne tarda pas à céder à l’influence que, nous autres joueurs, nous exerçons sur les femmes... ai -je dit que j’étais joueur ?... Je le suis, je le suis comme les cartes !... Il se passait entre elle et moi quelque chose de bizarre, je sentais qu’elle m’aimait, qu’elle m’aimait à la folie... Et cependant, au risque de me désespérer, elle me résistait... « Il est trop loin, » me disait-elle, « il est trop loin ! Qui sait combien de temps s’écoulera avant qu’il revienne !.. » Je fus longtemps avant de comprendre l’exquise délicatesse qui la faisait parler ainsi... A la fin je compris, et je chargeai un employé du sémaphore de me faire savoir quand le Foudroyant devait arriver. Il était à bord du Foudroyant, Quelques jours se passèrent... rien ! Enfin, je reçus la nouvelle que j’attendais avec tant d’impatience... Je courus immédiatement chez elle... Et, pâle, éperdu, pouvant à peine parler : Le Foudroyant ! me contentai-je de lui dire... Le Foudroyant ! Elle tomba dans mes bras... Le lendemain, pas de Foudroyant !... Il y avait eu une tempête effroyable, et le Foudroyant avait fait naufrage, l’équipage tout entier avait été sauvé à l’exception du capitaine... Il avait quitté son navire le dernier, on l’avait vu flottant sur une épave, et l’on ne savait pas ce qu’il était devenu... Au bout de six semaines, une dépêche arriva... le capitaine avait été recueilli par un transatlantique anglais, lequel, n’ayant pas le droit de s’arrêter, avait poursuivi sa route en emportant le capitaine. « Perdue ! » s’écria-t-elle, quand cette dépêche arriva, « perdue, je suis perdue ! » Heureusement, le ciel eut pitié de nous... « Envoyez-moi chercher, avait écrit le capitaine... On ne l’envoya pas chercher, on le nomma amiral par le télégraphe et on l’envoya dans les mers de la Chine. Cette campagne dura pas mal de temps. Et quand, dix mois après, l’amiral débarqua à Brest pour tout de bon, sa femme put sans rougir tomber dans ses bras et le féliciter de son avancement... Il restait plus trace sur son visage à elle de toutes les émotions qu’elle avait traversées... rien n’était changé, si ce n’est que deux enfants, le frère et la sœur, nés le même jour, à la même heure, avaient été mystérieusement déposés ici, dans cette ferme, chez le père Savarin.

Entre Savarin amenant les enfants.


SCÈNE V

DUBOIS-TOUPET, SAVARIN, LE ROUSSOT, LA ROUSSOTTE.

SAVARIN

Les voilà, les amours.

Les ENFANTS

Bonjour, mon oncle, Bonjour, mon oncle.

DUBOIS-TOUPET

Bonjour, mes enfants... Sapristi ! ils ne sont pas très propres.

SAVARIN

C’est pas ma faute... Le petit a roulé dans la poussière en courant après le régiment.. Quant à la petite, elle est tombée dans la mare aux canards... mais si vous voulez que je les débarbouille.!.

DUBOIS-TOUPET

Non. Tenez-vous sur votre porte et quand vous verrez venir cette dame...

SAVARIN

Leur marraine ?...

DUBOIS-TOUPET

Oui... vous m’avertirez... Allez, père Savarin, allez...

Savarin sort.


SCÈNE VI

DUBOIS-TOUPET, LE ROUSSOT, LA ROUSSOTTE.

DUBOIS-TOUPET

Viens, Édouard.

Il prend le Roussot dans ses bras,
il le met sur ses genoux.
Le Roussot fouille dans le
gousset de Dubois-Toupet.


LE ROUSSOT

Qu’est-ce que c’est que ça ?

DUBOIS-TOUPET

Tiens... un jeton du cercle... dernier soldat de ma dernière dérouté.

LE ROUSSOT

Donne-le moi, tonton.

DUBOIS-TOUPET

Tu veux ?

LE ROUSSOT

Oui... je t’en prie...

DUBOIS-TOUPET

Le voilà... et puisse-t-il te donner la veine que n’a jamais eue ton malheureux pè... (se reprenant) ton malheureux oncle.

LE ROUSSOT

Merci, tonton.

DUBOIS-TOUPET

Là... mets-le dans ta poche comme un grand garçon, et garde-le toujours... (à la Roussotte) Et toi, viens donc que je te regarde.

LA ROUSSOTTE

Me vlà, tonton...

Elle se place devant lui et avec la main
rejette ses cheveux en arrière.

DUBOIS-TOUPET

Toujours ton petit geste... Est-elle gentille, hé !... sont-ils gentils tous les deux !...

LA ROUSSOTTE

Qu’est-ce que t’as, tonton ?

DUBOIS-TOUPET

Rien.

Il la met sur ses genoux.


LA ROUSSOTTE

Fais le cheval, dis ?:., tu le fais si bien le cheval !...

DUBOIS-TOUPET

Ça t’amuse ?...

LA ROUSSOTTE

Oh ! oui... et puis chante... tu sais, quand tu fais le cheval, il y a une chanson.

DUBOIS-TOUPET,
faisant sauter la Roussotte.

C’est aujourd’hui qu’ la gross’ Germaine
Épouse le fils au pèr’ Canon...

SCÈNE VII

Les mêmes, SAVARIN, LA DAME VOILÉE.

SAVARIN

Entrez, Madame.

Les ENFANTS

Bonjour, marraine, bonjour

LA DAME. VOILÉE,
les embrassant.

Darling ! my dear.

DUBOIS-TOUPET

Là... maintenant, emmenez - les. Tout à l’heure nous les rappellerons.

SAVARIN

Venez, les p’tiots !

Ils sortent. Les enfants se disputent parce
que l’un a pris le ballon de l’autre.

SCÈNE VIII

DUBOIS-TOUPET, LA DAME VOILÉE,

LA DAME VOILÉE

Vous m’avez dit de venir, je suis venue, mais parlez vite, j’ai peur...

DUBOIS-TOUPET

The old gentleman...

LA DAME VOILÉE

L’amiral...

DUBOIS-TOUPET

Où l’avez- vous laissé ?

LA DAME VOILÉE

Dans sa voiture... il dort... le mouvement de la voiture, ça ne manque jamais... au bout de cinq minutes...
l’amiral s’endort... cinq minutes après, c’est le tour du cocher... il laisse aller sa tête et les chevaux s’arrêtent
C’est le moment que j’attendais, quand j’ai vu que tout le monde était endormi, j’ai ouvert doucement la portière et je suis venue.

DUBOIS-TOUPET

Et je vous en remercie.

LA DAME VOILÉE

Mais parlez, parlez vite.

DUBOIS-TOUPET

Les journaux ont dû tous apprendre qu’il m’était arrivé un malheur.

LA DAME VOILÉE

Oui, j’ai vu que vous aviez reçu, au club, une tape formidable.

DUBOIS-TOUPET

Tout ce qui me restait raflé en deux séances... soixante mille avant le dîner, quatre-vingt mille en revenant du spectacle.

LA DAME VOILÉE

C’est une guigne !.

DUBOIS-TOUPET

C’est ma faute, je n’aurais pas dû m’obstiner à tirer à cinq... Oh ! ce tirage à cinq !

LA DAME VOILÉE

C’est donc bien terrible ?

DUBOIS-TOUPET

Si c’est terrible ?.. . Demandez-le à tous ceux qui comme moi en ont été victimes.

COUPLETS

Ainsi que vient l’argent, de même il faut qu’il parle,
Au jeu du baccarat tout est veine ou guignon,
Les uns sont condamnés parce qu’ils disent : Carte...
Et les autres le sont, parce qu’ils disent : Non...
J’avais deux millions, une somme assez ronde.
Mais le tirage à cinq me l’a prise en trois mois,
Quand tous jouerez au bac, ô jeunes gens du monde,
Si vous tirez à cinq, tâchez de prendre un trois.

LA DAME VOILÉE

Le temps se passe, mon ami, et l’amiral...

DUBOIS-TOUPET

J’arrive au fait... Dès que j’ai eu perdu tout ce que j’avais, il m’est venu des pensées sérieuses... j’ai songé à mes enfants...

LA DAME VOILÉE

Brave cœur !

DUBOIS-TOUPET

A nos enfants !

LA DAME VOILÉE

Prenez garde !

DUBOIS-TOUPET

Le tirage à cinq avait dévoré la fortune que je devais leur laisser... il m’a semblé que mon devoir était de leur en faire une autre.

LA DAME VOILÉE

Ah ! c’est avec des phrases pareilles que vous m’avez rendue folle autrefois... continuez...

DUBOIS-TOUPET

Avec les quelques billets de mille francs qui me restaient, j’ai acheté des caisses d’opium, des armes, des munitions.

LA DAME VOILÉE,
avec enthousiasme.

Des armes, des munitions !... vous allez faire du brigandage !

DUBOIS-TOUPET

Non, je vais tout bonnement échanger tout ça contre des balles de soie...

LA DAME VOILÉE

Ah ! pardon... je croyais...

DUBOIS-TOUPET

Voilà ! et dans une heure, avec mon opium, mes armes, mes munitions et mes échantillons, je serai parti pour la Chine. Je vais à Shanghai... c’est à Shanghai que je vais...

LA DAME VOILÉE

Dans une heure ?

DUBOIS-TOUPET

Oui, et si j’ai tenu à vous voir avant de partir, c’est que j’avais une question à vous adresser.

LA DAME VOILÉE

Parlez.

DUBOIS-TOUPET

Cette fortune que je vais conquérir pour nos enfants, voulez-vous venir la conquérir avec moi, voulez-vous me suivre à Shanghai ?

LA DAME VOILÉE

Écoutez : Dès que vous avez parlé de votre départ, j’ai compris que vous alliez me demander de vous suivre... oui, et tout de suite j’ai su ce que j’allai vous répondre, tout de suite ma résolution a été prise.

DUBOIS-TOUPET

Vous venez ?

LA DAME VOILÉE

Non, je reste,

DUBOIS-TOUPET

C’est bien !

LA DAME VOILÉE

Je me dois à l’amiral... Vous n’ayez plus rien, vous, tandis que lui, sa fortune est immense.

DUBOIS-TOUPET

C’est vrai !

LA DAME VOILÉE

Cette fortune, qui donc l’administrerait si je n’étais pas là ?... Il en est incapable, lui... son intelligence, à la suite de ce séjour trop prolongé qu’il a fait dans l’eau, le jour du naufrage... son intelligence a subi des atteintes...

DUBOIS-TOUPET

Pauvre homme !...

LA DAME VOILÉE

Oh ! oui !... Et généreux, et tout !, Et nous l’avons trompé !

DUBOIS-TOUPET

C’est vrai, mais qu’y faire ?.. . Nous n’y pouvons rien. .. le passé est le passé.

LA DAME VOILÉE

Oui, mais l’avenir, c’est l’avenir; l’avenir, c’est l’expiation, c’est pour expier que je veux rester près de l’amiral.

DUBOIS-TOUPET

Si c’est pour ça, je n’ai rien à dire... Cependant...

LA DAME VOILÉE

N’insistez pas, mon parti est pris... Pauvre homme, que deviendrait-il s’il apprenait que je me suis enfuie avec un amant ! Un pareil changement dans ses habitudes...

DUBOIS-TOUPET

C’est vrai, mais les enfants ?

LA DAME VOILÉE

Je veillerai sur eux pendant que vous serez là-bas.

DUBOIS-TOUPET

Vous me le promettez ?

LA DAME VOILÉE

Je vous le jure... Tous les jours, je viendrai les voir, leur parler de leur oncle. Oui, je le ferai, à quelque danger que cela puisse m’exposer...

DUBOIS-TOUPET

Des dangers ? Aurait-il des soupçons ?

LA DAME VOILÉE

Non, je ne crois pas, et cependant...

DUBOIS-TOUPET

Cependant ?...

LA DAME VOILÉE

L’autre jour, après sa demi-heure de sommeil, l’idée lui vint de faire un tour à pied. Il prit mon bras. Tout à coup, au détour d’un chemin... je crus que j’allais mourir... Les enfants...

DUBOIS-TOUPET

Les enfants ?...

LA DAME VOILÉE

Ils étaient là en face de nous.

DUBOIS-TOUPET

Ils vous ont reconnue ?

LA DAME TOILÉE

Non, grâce à l’habitude que j’ai prise de ne jamais venir ici sans être voilée. Ils ne m’ont pas reconnue, mais ça ne fait rien, ils m’ont regardé. Et l’amiral aussi les regardait. Et, en les regardant, il avait l’air en proie à je ne sais quels sentiments... Enfin, après un moment de silence : « Mon Dieu, que ces enfants sont vilains ! » s’est écrié l’amiral.

DUBOIS-TOUPET

Il a dit ça ?

LA DAME VOILÉE

Oui... Ça m’a rassurée.

DUBOIS-TOUPET

A la bonne heure... Mais il est encore bon, l’amiral, de critiquer les enfants des autres.

On entend des cris dans la coulisse.


LA ROUSSOTTE,
au dehors.

Tonton, tonton !

LA DAME VOILÉE

Qu’est-ce que c’est que ça ?... Qu’est-ce qui se passe ?

Entre la Roussette.


SCÈNE IX

Les mêmes, LA ROUSSOTTE.

LA ROUSSOTTE

Viens, tonton, viens vite... viens me faire rendre mon ballon, on me l’a pris.

DUBOIS-TOUPET

Qui ça ?

LA ROUSSOTTE

Un vieux monsieur qui dormait dans une voiture.

LA DAME VOILÉE

Ah !

LA ROUSSOTTE

Ce n’est pas ma faute, à moi, je jouais avec mon ballon sur la route, mon ballon est allé tomber sur le nez du vieux monsieur...

LA DAME VOILÉE
à Dubois-Toupet

La Providence ?...

LA ROUSSOTTE

Le vieux monsieur s’est réveillé...

LA DAME VOILÉE

Mon Dieu ! que vais-je lui dire ? Comment expliquer mon absence ?

LA ROUSSOTTE

Moi, je lui disais : Rendez-moi mon ballon, mais il ne voulait pas. Il avait mis mon ballon sous son bras et il disait : Madame l’amirale ? où est madame l’amirale ?

DUBOIS-TOUPET,
à la dame voilée qui est sur
le point de se trouver mal.

Eh bien ?... Eh bien ?

LA DAME VOILÉE

Je suis perdue ! (on entend la musique militaire.) Non, je suis sauvée ! Je lui dirai que si j’ai quitté la voiture, c’était pour aller voir passer les militaires, good-bye !

DUBOIS-TOUPET

Good-bye... my dear...

LA DAME VOILÉE

Pas de ces mots-là maintenant... Good-bye ! Encore une fois, good-bye !

Elle sort rapidement après
avoir embrassé la Roussotte.


SCÈNE X

Les mêmes, puis SAVARIN.

DUBOIS-TOUPET

Voyons, ne pleure pas, je t’en ferai donner un autre, de ballon, et un plus beau.

Entre Savarin.


SAVARIN

Il est encore parti, le garnement, dès qu’il a entend la musique militaire, il s’est sauvé !

DUBOIS-TOUPET

Tâchez de le rattraper, car je pars dans un quart d’heure, et je voudrais l’embrasser avant de partir.

SAVARIN

Je m’en vas le rattraper.

Il sort.


SCÈNE XI

DUBOIS-TOUPET, LA ROUSSOTTE.

LA ROUSSOTTE

Tu pars, tonton ?

DUBOIS-TOUPET,
ému.

Oui, mon enfant, oui.

LA ROUSSOTTE

Mais tu reviendras ?

DUBOIS-TOUPET

Sans doute, mais peut-être dans bien longtemps.

LA ROUSSOTTE

Eh bien, fais-moi encore le cheval,..

DUBOIS-TOUPET

Tu veux ?

LA ROUSSOTTE

Je t’en prie...

DUBOIS-TOUPET

Oui ! alors.

Il la prend sur ses genoux
et commence à chanter.
C’est aujourd’hui que la gross’ Germaine

LA ROUSSOTTE

Non, laisse-moi chanter, la chanson, tu vas voir comme je la sais bien.

DUBOIS-TOUPET

Tu la sais, vraiment ?

LA ROUSSOTTE

Tu vas voir.

La Roussotte est à cheval sur les genoux
de Dubois-Toupet, et elle chante le couplet.


C’est aujourd’hui qu’ la gross’ Germaine
Épous’ le fils au père Canon,
Tré, tré, tré, trémousses-vous donc,
Trémoussez-vous donc, ma dondaine,
Tré, tré, tré, trémoussez-vous donc,
Trémoussez-vous donc,
Ma dondon !

(parlé)
Tu vois comme je la sais bien. Ensemble maintenant, ensemble. !

Ils reprennent tons deux la chanson.
Dubois-Toupet faisant cette fois sauter
a Roussette sur ses genoux.
FIN DU PROLOGUE
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