La ROUSSOTTE
ACTE DEUXIÈME
Le lieu
LA CRÉMERIE
Devanture vitrée avec rideau - Ouverture au milieu fermée par deux portes-persiennes volantes. - Porte à droite, deuxième plan, donnant dans la cuisine. - A côté de cette porte, au dessus, petit guichet.- Au fond, à droite, comptoir sur lequel il y a, à droite, une corbeille en fer peint avec des bouteilles dedans. - A gauche, réchaud en cuivre avec deux théières dessus. - Au milieu, un registre. - Buffet d’angle, à gauche, sur les tablettes duquel il y a des bouteilles, des tasses, des assiettes et des verres. - Trois tables à gauche avec des chaises autour. - Deux tables à droite avec chaises autour. - Tapis, jeux de cartes sur la première table de droite.
SCÈNE PREMIÈRE
ADÈLE, MARIA, HÉLOÏSE, à la première table de droite,
MÉDARD, seul, à une petite table à gauche.
CONSOMMATEURS.

ADÈLE

Moi, d’abord, un homme qui joue du piano, je ne comprends pas qu’on lui résiste.

MARIA

Oh ! oh !

ADÈLE

Je suis comme ça...

HÉLOÏSE

Faut qu’il en joue bien alors, parce que s’il en jouait mal...

ADÈLE

L’homme que j’ai le plus aimé au monde se mettait devant un piano, n’importe lequel, il faisait comme ça : pim, pim, pim, pim... C’était censé des perles qui tombaient... pim, pim, pim, pim... ça durait deux heures... au bout de ces deux heures-là, j’étais folle... on aurait fait de moi ce qu’on aurait voulu, on m’aurait dit d’être honnête...

MARIA

Moi, je n’aime pas la musique sans paroles... il me faut des paroles !

HÉLOÏSE

Oh ! les paroles...

MARIA

Je ne tiens pas à comprendre, pourvu qu’il y ait de l’amour et que l’on parle d’un pays où l’on aurait envie d’aller.

HÉLOÏSE

Du sentiment, alors ?...

MARIA

Je ne m’en cache pas.

HÉLOÏSE

J’aime mieux les bêtises...

ADÈLE

Une femme qui les chante bien, les bêtises, c’est la nouvelle bonne de madame Victor, celle qui est ici depuis trois jours...

MARIA

La Roussotte ?...

ADÈLE

Oui. Hier soir, j’étais venue avant tout le monde... La Roussotte se croyait seule, elle chantait... Eh bien! je vous assure, il y a des étoiles, à qui on donne jusqu’à des dix francs par jour, dans des cafés, et qui ne chantent pas mieux qu’elle.

HÉLOÏSE

Faudrait voir ça.

Elle étale un jeu de cartes devant elle, et se met à se tirer les cartes. Quelques consommateurs tapent sur les tables, appelant: « La fille !… La fille !... » - Entre la Roussotte portant en équilibre autant de plats que possible, elle les distribue avant de chanter, pendant la ritournelle du morceau suivant.

SCÈNE II

Les mêmes, LA ROUSSOTTE.

LA ROUSSOTTE

I

Un peu d’ silence.
On n’est pas sourd...
Prenez patience,
Chacun son tour.
Faut que j’ réponde
En même temps
A tout le monde,
A tous les gens.
L’un m’interpelle
Pour son fricot,
L’autre me hèle
Pour son gigot...
Holà ! La fille !
Un fricandeau !
Mat’lott’ d’anguille !
Ma têt’ de veau !
Allons, la bonne,
Qu’est-c’ que je dois ?
J’ suis bonn’ personne.
Mais j’ peux pas tout faire à la fois.
Ma pauvre Roussotte,
Faut- il, saperlotte !
Qu’ tu fass’s un service aussi dur que ça !
Oh ! sur ma parole,
Je deviendrai folle
A ce métier-là !

II

A toute minute
Pour ma vertu.
Il faut que j’ lutte !
Métier ardu !
Mais ceux qui boivent
Me guett’nt, et quand
Ils m’aperçoivent
Me fatiguant
De leurs sornettes,
Avec mes bras
Chargés d’assiettes,
Criblés de plats.
Vite, ils accourent
Pour m’embrasser.
Et tous m’entourent,
J’ veux les r’pousser.
Et dans mon zèle,
A ce métier,
J’ cass’ la vaisselle
Mais l’honneur ! l’honneur reste entier.
Ma pauvr’ Roussotte,
Faut-il, saperlotte !
Qu’ tu fass’s un service aussi dur que ça !
Ah ! sur ma parole,
Je deviendrai folle
A ce métier-là !


Elle s’approche de Médard qui
la regarde avec admiration.


LA ROUSSOTTE,
parlé, à Médard.

Vous avez fini, vous ?

MÉDARD

J’ai fini depuis deux heures, mais ça ne fait rien. Je reste là à vous regarder aller et venir, ça m’amuse.
Une bonne idée que j’ai eue, tout de même, de vous amener ici, quand nous nous sommes sauvés de chez l’infâme Gigonnet...

LA ROUSSOTTE

Oh ! oui, une bonne idée !... Vous ne l’avez pas revu, l’infâme Gigonnet ?

MÉDARD

Non. Il me doit cinq jours de contentieux, mais je n’ai pas jugé à propos de les lui réclamer, le misérable !... Ce qui me chiffonne, c’est que j’ai beau me creuser la tête, je ne peux pas arriver à deviner quel était son plan en vous attirant.

LA ROUSSOTTE

Il me semble que ce n’est pas facile à deviner...

MÉDARD

Oh ! non, ça ne devait pas être pour ça seulement..

LA ROUSSOTTE

Vous croyez ?

MÉDARD

Cette idée-là... l’idée à laquelle vous faites allusion... elle aurait pu, à la rigueur, venir à un honnête homme... Ce gredin de Gigonnet avait dû penser à autre chose... J’en suis sûr, et je suis sûr aussi que vous n’en avez pas fini avec lui, il essaiera de vous repincer...

LA ROUSSOTTE

Qu’il y vienne !

Madame Victor est rentrée en scène
depuis quelques instants, elle est à son comptoir.

SCÈNE III

Les mêmes, MADAME VICTOR

MADAME VICTOR

Eh bien! la Roussotte ?

LA ROUSSOTTE

Madame...

MADAME VICTOR

Vous n’avez donc pas dit à l’as, ce que je vous avais chargée de lui dire ?

LA ROUSSOTTE

Non, Madame, non... pas encore, mais je vais lui dire. Madame, je vais lui dire...

MADAME VICTOR

Je vous y engage, si vous ne voulez pas que je lui dise moi-même.

Elle sort.

LA ROUSSOTTE

Je vais lui dire.

SCÈNE IV

Les mêmes, moins MADAME VICTOR.

MÉDARD

Mais, c’est moi, l’as ?...

LA ROUSSOTTE

Oui, et ce que madame Victor m’a chargée de vous dire, c’est qu’elle vous est certainement très reconnaissante de venir comme ça tous les jours déjeuner et dîner chez elle, mais...

MÉDARD

Mais quoi ? Voyons, mais quoi ?... Elle ne peut pas dire que je lui dois de l’argent puisqu’on ne fait pas de crédit ici, depuis le jour où un certain Mr. Édouard est parti en laissant une note... Il paraît qu’elle était fameuse la note…

LA ROUSSOTTE,
montrant la table.

Madame Victor trouve que vous restez trop de temps et elle n’a pas tort. Vous avouez vous-même que vous avez fini depuis deux heures.

MÉDARD

Je lui neutralise une table, voilà ce qu’elle me reproche, je lui neutralise une table...

LA ROUSSOTTE

Elle ne le dit peut-être pas aussi bien, mais...

MÉDARD

Elle a raison... je m’en vais. Qu’est-ce que j’ai.... un aloyau purée, un chester, un carafon de vin.

LA ROUSSOTTE

Ça fait dix-huit sous.

Il paie.
La Roussotte rend deux sous.


MÉDARD

Gardez...

LA ROUSSOTTE

Oh ! monsieur Médard, à moi !...

MÉDARD

Je vous en prie...

LA ROUSSOTTE

Je ne veux pas...

MÉDARD

Vous me désobligerez, vraiment.

LA ROUSSOTTE

Songez donc, vous n’avez plus de place...

MÉDARD

Je vais en avoir une, j’ai un ami qui m’a promis de m’en faire avoir une dans une compagnie de publicité.
(montrant les deux sous) Si vous ne les prenez pas, je vous avertis que j’en ferai un mauvais usage.

LA ROUSSOTTE,
les prenant.

Oh ! alors... mais, c’est bien pour vous faire plaisir... j’aurais cru qu’entre nous...

MÉDARD

Je m’en vais... et savez-vous ce que je me reproche, en m’en allant, c’est de ne pas vous aimer assez...

LA ROUSSOTTE

Vous m’aimez bien, pourtant, il me semble que vous m’aimez bien...

MÉDARD

Oui, je vous aime bien, mais je ne vous aime pas assez... (prenant le ton de quelqu’un qui explique quelque chose de très compliqué) Puisque tout à l’heure, quand je reviendrai, je vous aimerai mille fois plus que maintenant, ça prouve que maintenant je ne vous aime pas encore assez...

LA ROUSSOTTE

Tiens, c’est gentil ça... Est-ce que c’est des vers ?

MÉDARD

Ça a l’air d’être des vers parce que ça ne se comprend pas très bien... Mais ça n’est pas encore... Il faudrait le dernier coup de fion... .

LA ROUSSOTTE

Vous le donnerez, n’est-ce pas ?

MÉDARD

Si vous le désirez...

LA ROUSSOTTE

Oui. Et vous en ferez une chanson... que j’apprendrai comme j’ai appris les autres... car je les sais toutes par cœur, maintenant, et je les chante quand je suis seule.

MÉDARD

Femme admirable !... Eh bien, elle est libre sa table, et personne ne la prend...

LA ROUSSOTTE

On l’aurait peut-être prise tout à l’heure... Vous partez ?...

MÉDARD

Il le faut bien... puisque votre patronne...

LA R0USSOTTE

Si vous avez cette place, vous viendrez me le dire, n’est-ce pas ? Vous viendrez me le dire tout de suite.

MÉDARD

Je vous le promets...

Il sort.


SCÈNE V

Les mêmes moins MÉDARD.

MARIA

La Roussotte ! La Roussotte ! faites-moi non absinthe.

LA ROUSSOTTE

Voilà. Mademoiselle !

Elle fait l’absinthe avec
le plus grand soin,
versant l’eau de très haut, etc.


ADÈLE

Je disais tout à l’heure à ces dames que, hier, je vous avais entendue et que vous chantiez très bien !


Un consommateur entre.


LA ROUSSOTTE

Je ne sais pas, je sais que quand je chante, ça me fait plaisir, à moi... Tant mieux si ça fait plaisir aux autres.

HÉLOÏSE

Vous devriez nous chanter quelque chose. J’ai un ami qui est quatrième ténor au Beuglant d’à côté...

LA ROUSSOTTE

Vraiment ?

HÉLOÏSE
très digne.

Oui, ma chère.

LA ROUSSOTTE

Et si vous étiez contente de ma chanson, vous lui en parleriez, à votre ami ?

HÉLOÏSE

Sans doute...

LA ROUSSOTTE

Je crois bien, alors... (à part) L’avenir de Médard, peut-être... (haut) Je crois bien, alors, que je vous chanterai quelque chose... Pas maintenant... il y a encore trop de monde... mais, tout à l’heure, quand le coup de feu sera passé... parce que la patronne... pas commode, la patronne !...

ADÈLE

C’est promis ?...

LA ROUSSOTTE

C’est promis... (au consommateur qui vient d’entrer) Qu’est ce qu’il vous faut. Monsieur ?...

Le consommateur lui fait sa commande tout bas. - Édouard vient d’entrer par la porte du fond, il descend vers la table ou sont les trois femmes qui ont repris leur patience. La Roussette sort quelques instants après l’entrée d’Édouard. Il ne t’a pas vue.

SCÈNE VI

Les mêmes, ÉDOUARD.

ÉDOUARD

Moi, je mettrais le valet de trèfle sur le dix de trèfle !

LES TROIS FEMMES,
se retournant.

Édouard !...

ÉDOUARD

Cette chère Adèle, cette bonne Héloïse, cette excellente Maria !...

MARIA

Vous vous trompez, moi, Maria...

HÉLOÏSE

Moi, Héloïse.

ADÈLE

Et moi, Adèle.

ÉDOUARD

Vous en êtes bien sûres ?... Enfin, vous savez cela mieux que moi... il y a pas mal de temps qu’on ne s’est vu...

HÉLOÏSE

Au moins deux ans... Vous avez disparu tout d’un coup... La mère Victor nous parlait encore de vous ce matin...

ADÈLE

Elle nous en parle tous les jours, de vous, la mère Victor...

ÉDOUARD

A cause de mon compte, pas vrai ?... Eh bien, qu’elle soit heureuse... Je viens le régler, mon compte...

MARIA

Pas possible !...

ÉDOUARD

Parole d’honneur ! . . .

ADÈLE

Mère Victor !... Faut lui annoncer ça avec des ménagements, ça serait capable... Mère Victor !

TOUTES

Mère Victor !... mère Victor !...

MADAME VICTOR,
ouvrant son petit guichet.

Qu’est-ce qu’il y a ?

HÉLOÏSE

Une ancienne connaissance !

MARIA

Regardez...

MADAME VICTOR

Vous, Monsieur...

ÉDOUARD

Oui, moi... qui viens payer mes vieilles additions...

MADAME VICTOR

Toutes ?...

ÉDOUARD

Toutes.

MADAME VICTOR

Ah !.

Elle disparaît.
On entend un bruit de vaisselle cassée.


ADÈLE

Qu’est-ce qui lui arrive?... Je vous avais bien dit qu’il fallait y mettre des ménagements...

MADAME VICTOR,
reparaissant.

C’est la joie, n’ayez pas peur... Vous me devez quatre cent soixante-treize francs vingt-cinq, mon bon monsieur... Si vous désirez vérifier, rien de plus facile... mais, ce n’est pas la peine, je suis sûre du chiffre, je me le répétais tous les soirs avant de m’endormir.

ÉDOUARD

Voilà cinq cents francs !

MADAME VICTOR

Je vais vous rendre...

Elle va au comptoir.
Rentre la Roussotte, elle va servir le
consommateur à gauche.


MARIA

Eh bien! moi, j’ai beau faire... jamais je n’arriverai à comprendre.

ÉDOUARD

Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ?

MARIA

Comment l’idée a pu vous venir de payer la mère Victor ?

ÉDOUARD

Je vais vous dire... Hier, je rencontre un ancien chapelier à qui je devais trois cents francs, je les lui donne.. Après les lui avoir donnés, j’entre au cercle... et là je gagne... Alors, je me suis dit : Tiens, tiens...
Est-ce que par hasard ça porterait bonheur de payer ses vieilles dettes... Voilà pourquoi je suis venu payer la mère Victor...

MARIA

Ah! bien, comme ça, je comprends.

MADAME VICTOR

Tenez, voilà ce que je vous redois... vingt-six francs soixante-quinze.

Édouard les reprend.
Après les avoir pris, il regarde la Roussotte.
Celle-ci le regarde.
Ils ont tous les deux
les cheveux du même rouge.


ÉDOUARD

C’est vous qui êtes la fille ?

LA ROUSSOTTE

Oui, M’sieu, c’est moi qui suis la fille..

ÉDOUARD

Elle a de drôles de cheveux, la fille.

LA ROUSSOTTE

Ma foi, de la couleur des vôtres... Ils sont gentils, les vôtres !...

ÉDOUARD

Oui, pas mal !...

LA ROUSSOTTE

Qu’est-ce que vous avez à me regarder comme ça ?

ÉDOUARD

C’est comme un souvenir... il me semble quand j’étais tout petit... (faisant le geste d’un homme qui cherche à se rappeler quelque chose et qui ne peut pas) Tenez, la fille. Il lui donne les vingt-six francs.

LA ROUSSOTTE

Tout ça pour moi, tout...

ÉDOUARD

Oui, tout, et je ne sais pas pourquoi, mais ça me fait plaisir de vous les donner...

LA ROUSSOTTE

Eh ben !... venant de vous, ça me fait plaisir de les recevoir... Merci, Monsieur.

Elle s’en va à gauche.


ÉDOUARD

Adieu, Adèle, adieu, Héloïse, adieu, Maria... Je ne me suis pas trompé cette fois ?... Adieu, la mère Victor, adieu.

En regardant la Roussette,
Édouard sort.


LES FEMMES

Adieu, Édouard ! Adieu ! adieu !

MADAME VICTOR,
à la Roussette.

Je m’en vais... Maintenant que tous les restaurateurs de Paris ont fait leurs provisions, je m’en vas voir à la halle, si je ne trouverais pas quelque chose de pas trop cher pour le dîner de ce soir...

LA ROUSSOTTE

Bien, Madame. Mais pas si haut, il y a encore des clients….

Madame Victor sort

SCÈNE VII

Les mêmes,
moins ÉDOUARD et MADAME VICTOR,
puis MÉDARD.

MARIA

Et allez donc, maintenant qu’elle est partie, c’est le moment, la Roussotte...

LA ROUSSOTTE

Je ne demande pas mieux !

Entre Médard.
MÉDARD

J’ai la place... je suis nommé, j’entrerai en fonctions à deux heures... heure militaire...

LA ROUSSOTTE

Nous avons le temps, alors... (lui faisant signe, de venir dans un coin du théâtre) Dites donc, monsieur Médard ?...

MÉDARD

Femme admirable...

LA ROUSSOTTE

Ces demoiselles me demandent de leur chanter une de vos chansons afin de voir un peu l’effet que ça produirait sur le public...

MÉDARD

C’est une idée ça, et d’autant meilleure que ce monsieur... là... vous voyez... ce monsieur qui est dans le coin…

LA ROUSSOTTE

Oui

MÉDARD

Eh bien !... je crois, j’ai tout lieu de croire que c’est le Directeur de l’Éden de la rue Oberkampf.

LA ROUSSOTTE

Oh ! je vais bien m’appliquer, alors.

MÉDARD

Qu’est-ce que vous allez chanter ?

LA ROUSSOTTE

La fille du peintre en bâtiments.

MÉDARD

C’est une des bonnes, c’est une des bonnes, ce n’est pas la meilleure, mais c’est une des bonnes….

CHANSON NATURALISTE

COUPLETS

I

Y a pas d’ancêlr’s dans ma famille,
Montmartre a vu mes premiers ans !
Je suis tout bonnement la fille
D’un simple peintre en bâtiments !
Quand y v’naît des clients, ma mère
M’app’lait d’en bas et me disait :
Amanda, va chercher ton père,
Il doit être chez l’mastroquet.
Comm’ la pudeur n’ pouvait m’ permettre
D’ franchir le seuil des cabarets,
J’app’lais papa par la fenêtre,
Et du plus loin que je l’ voyais,

Pi . . . . ouit !
Il n’ se faisait pas dir’ deux fois,
Et je ramenais not’ bourgeois,
Pi . . . . ouit !
Les peintres en bâtiments
Sont de bons enfants,
Pi . . . . ouit !

II

Quand je fus grande et courtisée,
D’un pied léger, le soir venu
Je m’en allais à l’Élysée,
Celui d’ Montmartr’, bien entendu,
Et comm’ j’étais des plus ingambes,
J’y pinçais un pas sans égal,
Et j’ provoquais par mes ronds d’ jambes
L’émotion du municipal !
Mais papa n’aimait pas qu’ sa fille
Risquât des pas si pleins d’effet.
Et souvent au fort du quadrille,
J’entendais sa voix qui m’ criait :
Pi . . . . ouit !
Je n’ me l’ faisais pas dire deux fois,
Et je rentrais chez not’ bourgeois,
Pi . . . . ouit !

III

Il eut raison, c’t’ excellent père,
Car c’est bien l’effet du hasard.
V’là que j’épouse un millionnaire,
Un princ’ moscovite, un boyard.
La nuit à l’heure où l’cœur s’épanche.
Il m’emmena chez lui loger...
Il ôta sa cravate blanche,
Moi, j’ôtai ma fleur d’oranger.
Tout à coup d’vant not’ résidence,
J’entends du bruit, qu’est-c’ que c’est qu’ ça ?
C’étaient des bons amis d’enfance
Qui m’annonçaient qu’ils étaient là’
Pi . . . . ouit !
Ils me le répétèr’nt deux fois !
V’lan ! ça défrisa mon bourgeois.
Pi . . . . ouit !

IV

Mais le prince avait de la race.
Il se remit d’ c’t’ incident,
Et, je le confess’ sans grimace,
Nous nous aimâmes. Cependant,
C’pendant il me manquait quèqu’chose
Pour que mon bonheur fût complet,
Quelque chose de blanc, de rose,
Tout’s les mamans savent c’ que c’est.
Cette joi’ j’ brûlais d’ la connaître,
J’en voulais presqu’à mon mari.
Quand un jour, là.., dans l’ fond de mon être.
Je crus entendre un petit cri l
Pi . . . . ouit !
C’était lui ! j’ reconnus sa voix,
C’était mon nouveau p’tit bourgeois.
Pi . . . . ouit !

LES FEMMES

Bravo ! la Roussotte, bravo !

LA ROUSSOTTE

Ce n’est pas à moi qu’il faut dire bravo ! c’est à lui, l’auteur !

LES FEMMES

Compliments, Monsieur, félicitations.

MÉDARD,
à la Roussotte.

Merci, Mesdemoiselles... Femme admirable !... La voilà, la première caresse de la gloire : et c’est à, vous que je la dois...

LA ROUSSOTTE,
lui montrant le monsieur
qui se dispose à s’en aller.

Le monsieur... le monsieur. . allez vite lui demander...

MÉDARD

Ah ! oui... (il s’approche du monsieur) Eh bien, Monsieur, avez- vous été satisfait ?

LE MONSIEUR

Enchanté... le bœuf aux choux, surtout, était excellent...

MÉDARD

Ce n’est pas de ça que je vous parle... Je sais, Monsieur, ou du moins, je crois, j’ai tout lieu de croire que vous êtes le directeur de... l’Éden de la rue Oberkampf.

LE MONSIEUR

Moi ?... pas du tout, je suis placeur en vins... c’est moi qui place les nouveaux vins de Bordeaux que l’on va fabriquer en Algérie...

Il sort.


MÉDARD,
désappointé

Ah !... c’est un avertissement ça... Ça veut dire qu’il ne faut pas me laisser griser par le succès et que, puisque j’ai une place, je dois la garder... Deux heures... je m’en vas entrer en fonctions... A bientôt femme admirable !…

LA ROUSSOTTE

A bientôt, mon poète !...

MÉDARD

Vous pouvez le dire... je suis en train d’en faire une spécialement pour vous : ça n’est pas encore mûr, mais ça bout...

Un pâ, deux pâ, trois pâ, quatr’ pâ !
Quat’ pâtissiers, faisaient de la galette...
Un pâ, deux pâ, trois pâ, quatr’ pâ !
Quat’ pâtissiers faisaient du pain trop mou…
Survint une cantinière,
Qui leur dit ceci :
Vous étouffez mes pensionnaires,
C’est moi qui vous V dis’
Un pâ, deux pâ, etc., etc.

Adieu, Mesdemoiselles, et merci de vos bons encouragements. Faites-vous chanter celle-là quand je la lui aurai donnée.

Un pâ, deux pâ, trois pâ, quatr’ pâ !
Quat’ pâtissiers, faisaient de la galette...

Il sort.


LA ROUSSOTTE,
à Héloïse.

Vous lui parlerez, n’est-ce pas. Mademoiselle, à votre quatrième ténor.

HÉLOÏSE

Je crois bien que je lui parlerai et pas plus tard que tout de suite...

LA ROUSSOTTE

Allez-y, Mademoiselle, allez-y. (elles sortent) Oh ! être femme !... être la femme d’un poète... En attendant faut que j’aille laver ma vaisselle…

Chantant


Un pâ, deux pâ, trois pâ, quatr’ pâ !


Je la sais déjà.
Elle entre dans la cuisine.


SCÈNE VIII

GIGONNET, DUBOIS-TOUPET, puis LA ROUSSOTTE.

GIGONNET

Entrez donc, monsieur le comte... 45, boulevard Rochechouart... une crémerie... c’est bien ça.

DUBOIS-TOUPET

Ma fille est ici ?...

GIGONNET

Oui, mais n’oubliez pas ce que vous m’avez promis, que quelle que soit la récompense que je vous demande, vous me l’accorderez...

DUBOIS-TOUPET

Oui, oui, c’est convenu, ma fille…

GIGONNET

Tout de suite, monsieur le comte. A la boutique vous allez voir qu’elle est ici...

LA ROUSSOTTE,
entrant.

Voilà ! Voilà !

GIGONNET

Bonjour, la Roussotte.

LA ROUSSOTTE

Gigonnet !

GIGONNET

Vous m’avez quitté un peu brusquement l’autre fois.. Vous avez eu tort. Si je vous avais fait venir à Paris c’était pour vous rendre un père.

LA ROUSSOTTE

Un père !

DUBOIS-TOUPET

Oui, moi... vous ne me croyez pas…

LA ROUSSOTTE

Je vous croirais - peut-être, si vous n’étiez pas avec ce...

DUBOIS-TOUPET

Heureusement, il ne me sera pas difficile de vous, convaincre rappelez-vous quand je faisais le cheval.
Tré, tré, tré, trémoussez-vous donc, Etc.
Voyons, regardez-moi, quand j’étais chez le père Savarin…

LA ROUSSOTTE

Oui, en effet, il me semble... Trémoussez-vous donc, ma dondaine, etc. (elle chante, Dubois-Toupet, reprend avec elle) Mon oncle... . .

DUBOIS-TOUPET

Non, ton père ! Je peux le dire maintenant.

LA ROUSSOTTE

Papa !... âh !... Voulez- vous prendre quelque chose ?

GIGONNET,
à Dubois-Toupet.

Maintenant, si nous parlions de la récompense.

DUBOIS-TOUPET

Tout ce que vous voudrez. Voulez-vous dix mille francs, vingt mille francs ?

GIGONNET

Non, je veux autre chose, mais vous ne consentirez peut-être pas !

DUBOIS-TOUPET

Quoi donc ?

GIGONNET

Je vous prie de m’accorder la main de Mademoiselle !

LA ROUSSOTTE

Par exemple !

DUBOIS-TOUPET

Demandez-moi de l’argent, monsieur Gigonnet, beaucoup d’argent... mais, quant à sa main, non.... (à la Roussotte) Je te trouverai mieux que ça…

LA ROUSSOTTE

Oh ! quant à un mari, vous n’avez pas besoin de chercher... J’en ai un en vue, Mr. Médard !...

GIGONNET

Médard !... vous avez envie d’épouser Médard ?

LA ROUSSOTTE

Sans doute !... Et ce n’est pas vous qui m’empêcherez peut-être...

GIGONNET,
à Dubois-Toupet

Votre serviteur, monsieur le comte !... j’aurai prochainement l’honneur de vous revoir !... (à part) Tu verras bien, toi, si tu épouses Mr. Médard...

Il sort.


SCÈNE IX

Les mêmes, moins GIGONNET.

DUBOIS-TOUPET

Qu’est-ce que c’est que Mr. Médard ?

LA ROUSSOTTE

Mr. Médard ?... C’est celui que j’aime !

DUBOIS-TOUPET

Quelque pauvre diable !

LA ROUSSOTTE

Il a une place !

DUBOIS-TOUPET,
dédaigneux.

Dans le gouvernement ?

LA ROUSSOTTE,
fièrement.

Non, dans les annonces...

DUBOIS-TOUPET

Ça ne fait rien... Ce n’est pas un mari pour toi. Tu es riche, maintenant, tu es très riche, tu as un million à toi !...

LA ROUSSOTTE

Un million ?

DUBOIS-TOUPET

Oui.

LA ROUSSOTTE

Qu’est-ce que c’est que ça ?

DUBOIS-TOUPET

Tu ne sais pas ce que c’est qu’un million, sais-tu au moins ce que c’est qu’une pièce de cinquante centimes ?

LA ROUSSOTTE

Oh ! oui !

DUBOIS-TOUPET

Eh bien ! un million, c’est deux millions de pièces de cinquante centimes... Maintenant, tu sais ce que c’est qu’un million. Une demoiselle qui a tant de pièces de cinquante centimes que ça, ne peut vraiment pas épouser…

LA ROUSSOTTE

Mais cependant, papa ?

DUBOIS-TOUPET

Cependant ?

LA ROUSSOTTE

Oui, papa, cependant...

DUBOIS-TOUPET

Ah ! mon Dieu !... est-ce que ?... Pauvre fille, aurais-je le droit de te reprocher... Est-ce que Mr. Médard...

LA ROUSSOTTE

Mr. Médard ?...

DUBOIS-TOUPET

Est-ce qu’il t’aurait fait oublier...

LA ROUSSOTTE

Oh ! non, papa, jamais...

DUBOIS-TOUPET

Jamais ?...

LA ROUSSOTTE

Jamais, jamais...

DUBOIS-TOUPET

Rien de plus simple, alors, que de l’envoyer promener, embrasse-moi, tu es une brave fille... Voyons, je m’en vais chercher une voiture... Tu as sans doute ici quelques petites choses que tu tiens à emporter ?...

LA ROUSSOTTE

Mais, papa, Mr. Médard

DUBOIS-TOUPET

Il ne faut plus y penser, à Mr. Médard... Tu n’auras pas plutôt passé une quinzaine de jours au milieu du luxe dont je veux t’entourer, que tu comprendras toi-même... Va, ma fille.

LA ROUSSOTTE

Oui, papa, j’y vais.

DUBOIS-TOUPET

Va, ma fille. (sort la Roussotte) Madame Médard !... Je vous demande si c’est possible... Madame Médard !..
(il fait un pas pour sortir et se retrouve en face de Médard qui vient d’entrer. Médard est couvert d’une de ces guérites portatives sur lesquelles on met les annonces. Sur la pancarte de devant il y a écrit en grosses lettres) - ELLE N’ÉTAIT QU’ÉVANOUIE ?... ET LUI, QU’EST-CE QU’IL ÉTAIT ?...

Il tient à la main des prospectus
et en offre à Dubois-Toupet.


MÉDARD,
offrant un prospectus.

Monsieur...

DUBOIS-TOUPET

Je vous remercie. Monsieur.

Il salue Médard très joliment
et s’en va.


SCÈNE X

MÉDARD

J’ai la place... Elle n’est peut-être pas aussi brillante que je pouvais l’espérer, mais enfin, qu’est-ce que vous voulez ?... J’ai le pied dans l’étrier : c’est à moi, maintenant, de m’élever par mon zèle et par mon intelligence. Ce costume non plus n’est pas très avantageux... Mais il y a la façon de le porter... et puis c’est très commode pour faire des farces à ses amis et connaissances. Vous allez voir, (il appelle) A la boutique ! à la boutique !

Entré la Roussotte,
Médard a disparu dans son appareil.
La Roussotte parait très surprise de ne trouver
personne et de voir cet objet
bizarre au milieu de la scène.


SCÈNE XI

MÉDARD, LA ROUSSOTTE.

LA ROUSSOTTE

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Elle s’approche de l’appareil.
Médard reste caché.
La Roussotte lit :
Elle n’était qu’évanouie, etc.

Médard se montre.


MÉDARD

Ah ! le voila !

LA ROUSSOTTE

Est-ce bête de faire des peurs comme ça... comment c’est vous ?

MÉDARD

Oui, c’est moi, et puis le petit bonhomme n’y est plus. (il disparaît) Et puis, il y est encore. (Il reparaît)

LA ROUSSOTTE

Il plaisante, le malheureux !

MÉDARD

Et pourquoi donc ne plaisanterais-je pas ?... Qu’est- ce qu’il y a, mon Dieu ?

LA ROUSSOTTE

Il y a que depuis tout à l’heure, depuis que vous êtes parti, il s’est passé des choses... Mais ôtez ça, je vous prie, la scène est vraiment trop grave pour que vous puissiez garder ça sur le dos.

MÉDARD
essayant de sortir de sa carapace.

Allons, bien… voilà que je ne peux pas, à cette heure…
Ah ! si, ça y est, parlez, maintenant, parlez.

LA ROUSSOTTE

Vous avez trouvé une place, vous ?... Eh ! bien, moi, pendant ce temps-là, j’ai trouvé un père !..

MÉDARD

Est-il possible !

LA ROUSSOTTE

Tout à l’heure, en entrant, est-ce que vous n’avez pas rencontré ?...

MÉDARD

Si fait !... C’était votre père ?... Excusez !

LA ROUSSOTTE

Oui, papa appartient aux classes les plus élevées de la société, il est riche, et moi aussi je suis riche.

MÉDARD

Tant mieux !

LA ROUSSOTTE

J’ai un million.

MÉDARD

Un million ?..

LA ROUSSOTTE

Oui.

MÉDARD,
ravi.

C’est un chiffre, cela, c’est un chiffre...

LA ROUSSOTTE

Vous ne voyez pas là un obstacle ?

MÉDARD

A quoi ?

LA ROUSSOTTE

A notre mariage ?...

MÉDARD

Parce que vous êtes riche ?... Allons donc ! ça se dit dans les pièces de comédie, ces bêtises-là, mais dans la vie réelle, jamais la fortune n’a empêché... Ça a du bon, la fortune... Ça sert à un tas de choses, ainsi, mes débuts littéraires, vous verrez comme ça les facilitera.

LA ROUSSOTTE,
embarrassée.

Je ne dis pas non... mais...

MÉDARD

Mais quoi ? qu’est-ce qu’il y a, voyons ?

LA ROUSSOTTE

Mon père...

MÉDARD

Eh bien ?...

LA ROUSSOTTE

Il ne veut pas que je vous épouse...

MÉDARD

Déjà !

LA ROUSSOTTE

Il dit qu’une demoiselle riche ne doit pas se marier avec...

MÉDARD

Ah bien ! En voilà un qui ne perd pas de temps pour jouer son rôle de père... Il n’est pas nommé depuis cinq minutes...

LA ROUSSOTTE

Naturellement, moi je vous aï défendu. .. J’ai dît que je vous aimais.

MÉDARD

Femme adorable ! .. Qu’est-ce qu’il a répondu ?

LA ROUSSOTTE

Il est devenu tout chose... Regarde-moi, m’a-t-il dit, regarde-moi bien en face, est-ce que ce jeune homme... ce jeune homme, c’est vous ?

MÉDARD

Oui, oui.

LA ROUSSOTTE

Est-ce que ce jeune homme t’aurait fait oublier...

MÉDARD

Oh !…

LA ROUSSOTTE

Non, papa, me suis-je écriée, non, papa !

MÉDARD

Et alors ?

LA ROUSSOTTE

Sa figure est devenue joyeuse, et il m’a dit que rien n’était plus simple, qu’il n’y avait qu’à vous envoyer promener...

MÉDARD

Je les reconnais bien là, les classes dirigeantes de la société, la voilà, leur morale... Alors si je vous avais fait oublier... il n’y aurait pas moyen de nous séparer, alors il faudrait bien consentir au mariage... mais voilà : parce que vous êtes tombée sur un jeune homme honnête… (avec éclat) Mais il est encore temps...

LA ROUSSOTTE,
effrayée et montrant la guérite.

Remettez ça, je vous en prie, remettez ça tout de suite.

MÉDARD

C’est inutile.. . Vous avez mieux que ça pour vous défendre.

LA ROUSSOTTE

Quoi donc ?

MÉDARD

Vous avez mon amour...

LA ROUSSOTTE,
transportée.

Ah ! le moyen, je vous le demande, le moyen en entendant de pareilles choses... Il peut venir maintenant, papa... Je sais ce que j’aurai à lui dire...

Entre Dubois-Toupet.


SCÈNE XII

Les mêmes, DUBOIS-TOUPET.

DUBOIS-TOUPET

Me voilà, moi... Ah ! c’est lui ?

LA ROUSSOTTE

Oui, c’est lui... Et je vous déclare, je tiens à vous déclarer que rien au monde ne pourra m’en séparer, de lui...

DUBOIS-TOUPET

Ah !

LA ROUSSOTTE

Vous me dites qu’une jeune fille riche ne doit épouser qu’un homme riche... C’est possible, mais moi, je ne comprends rien à vos usages. Je ne sais qu’une chose, moi, c’est que je l’aime et que je l’aimerai toujours... Vous êtes mon père, je sais bien... mais que voulez-vous que je vous dise ?... s’il me fallait absolument choisir entre vous et lui... Eh bien... vous n’êtes mon père que depuis cinq minutes après tout... et lui, voilà déjà trois grands jours que je l’adore...

MÉDARD

Femme adorable !

LA ROUSSOTTE

Vous avez envie de me marier dans votre monde, c’est très bien... mais est-ce ma faute si je me suis mise à aimer dans un monde à moi... On aime ou l’on peut et comme on peut... Je ne pouvais pas me mettre à aimer un ambassadeur... il n’en vient guère à la crémerie... et là-bas à l’auberge de Péronne, il n’en venait pas du tout... Je vous en prie laissez-moi l’épouser... Il n’est pas mal... regardez-le...

DUBOIS-TOUPET,
à Médard

Ah ça ! mais je ne me trompe pas... c’est vous qui, tout à l’heure, quand je suis sorti, m’avez offert un prospectus ?

MÉDARD

Dont vous n’avez pas voulu... Ça ne m’étonne pas, personne n’en prend.

LA ROUSSOTTE,
à Dubois-Toupet

Vous ne me répondez pas, papa.

DUBOIS-TOUPET

Que veux-tu que je te réponde ? Il est bien évident que plutôt que de te perdre après t’avoir retrouvée... (regardant Médard) Mais d’un autre côté... c’est bien dur vraiment, c’est bien dur.

LA ROUSSOTTE

Papa, je vous en prie...

COUPLETS ET TRIO

1

Sans Médard, je ne pourrais vivre,
Je partirai, si Médard part,
Je veux l’aimer, je veux le suivre,
Je ne peux vivre sans Médard.
C’est bet’ ! j’en conviens moi-même,
D’aimer un homm’ qui n’a pas le sou,
C’est bêt’ ! c’est insensé ! c’est absurd’ ! c’est fou !
Je le reconnais, mais je l’aime,
Je l’aime.
Mon p’tit papa n’y a rien à faire à ça !
Je l’aime !

2

De vos’ biens, je n’ai point envie.
Si Médard n’en prend point sa part,
Je sais que je vous dois la vie.
Mais je dois l’honneur à Médard.
C’est lui que je veux ! lui quand même,
N’importe comment et n’importe où !
C’est bêt’ ! c’est insensé, c’est absurd’, c’est fou !
Je le reconnais, mais je l’aime.
Je l’aime !
Mon p’tit papa y a rien à faire à ça.
Je l’aime !

DUBOIS-TOUPET

C’est bien décidé alors ?... Des grands seigneurs, tu n’en veux pas !... C’est l’afficheur que tu veux !

LA ROUSSOTTE

Oh ! oui, papa ! oh ! oui !

MÉDARD

Si ça pouvait vous décider, Monsieur, je promettrais d’y renoncer aux affiches !

LA ROUSSOTTE

Voyons, papa !

MÉDARD
suppliant.

Monsieur !

DUBOIS-TOUPET

Eh bien ! qu’est-ce que tu veux que je le dise ! Va pour l’afficheur, puisque tu y tiens !


SCÈNE XIII

Les mêmes, GIGONNET

GIGONNET

Un instant !

LA ROUSSOTTE,
apercevant Gigonnet.

Gigonnet

MÉDARD

L’infâme Gigonnet !

GIGONNET,
très calme.

Oh ! oui, Gigonnet. (à Médard) Vous rappelez-vous qu’un jour, lorsque vous étiez chef de mon contentieux... vous m’avez remis vos papiers en me disant : « Voyez donc si avec ça, il ne me serait pas possible de retrouver un père ? »

MÉDARD

Oui, je me rappelle.

GIGONNET

Eh bien ! c’est fait, votre père est retrouvé.

LA ROUSSOTTE,
joyeuse.

Il a un père... lui aussi... il a un père !...

DUBOIS-TOUPET

J’aime autant ça.

GIGONNET,
remettant à Médard
une liasse de papiers.

Prenez... J’ai reconstitué votre état - civil, (à part) Avec les papiers du Roussot.

MÉDARD

Et mon père ?

GIGONNET

Votre père ?... Le voici

DUBOIS-TOUPET

Mon fils !

MÉDARD

Mon père !

Médard et la Roussotte font un pas
l’un vers l’autre, puis ils s’éloignent
avec une sorte d’effroi.


LA ROUSSOTTE

Mon frère ? …

MÉDARD

Ma sœur !

GIGONNET,
à part.

Mariez-vous maintenant, mes enfants ! mariez-vous.

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